LA DEFAITE DES FEMMES
La liberté sexuelle, vraiment ?
(Plon, 2016)
EXTRAITS DE L'AVANT-PROPOS
Cheveux virevoltant au vent, jupes courtes et pantalons à pattes d’éléphant, elles défilent en riant dans les rues de Paris, insouciantes, majestueuses, splendides. Elles clament que leur corps leur appartient, qu’il n’est plus soumis aux lois, aux tabous, aux interdits, aux violences imposés depuis tant de décennies par les prêtres, les pères, les maris·; elles crient leur droit d’avoir des enfants si elles le veulent, quand elles le veulent… D’avoir du plaisir avec qui elles veulent, quand elles le veulent. Elles sont jeunes, elles sont belles, et elles chantent leur indépendance conquise, leur joie de vivre, leur désir d’aimer. Elles respirent à pleins poumons l’air nouveau de la liberté.
Libérées, vraiment·? Libres de leurs choix·? Libres de leurs corps·? Aujourd’hui, quarante ans plus tard, alors que nombre de jeunes filles considèrent le féminisme comme une maladie honteuse, on ne bat plus le pavé pour libérer le corps des femmes, mais pour le réglementer. Parés de rose et bleu, couleur fille, couleur garçon, les militants de la «·Manif pour tous·» dénoncent la perversion des mœurs, crient leur refus du mariage homosexuel, leur horreur de l’avortement, leur rejet de la procréation médicalement assistée, parfois leur réticence envers la contraception. A l’Assemblée nationale, au Sénat, dans les Régions, certains de leurs amis politiques tentent de rogner l’accès à l’interruption volontaire de grossesse et de diminuer les crédits du Planning familial…
Aujourd’hui, quarante ans plus tard, sur la place de grandes villes, au cœur de l’Europe, on voit des hommes, en hordes mouvantes, attraper les passantes comme des proies, former autour d’elles des cercles serrés pour les palper sous les vêtements, les agresser, les insulter…
Aujourd’hui, dans de nombreuses cités françaises, des femmes rasent les murs comme des fantômes, visages fermés, jupes longues et noires, veillées par des barbus vigilants. Ils réclament, eux, qu’on les laisse dissimuler le corps de leurs compagnes comme ils l’entendent, ils demandent des lieux publics séparés, affirment leur dégoût de la chair et de la nudité. Et des marques célèbres de prêt-à-porter proposent complaisamment des collections dites «·pudiques·» destinées à rendre floue la silhouette féminine...
Feuilletez au hasard un magazine pour adolescentes. De quoi est-il question·? Du plaisir primordial des garçons, de la meilleure manière de les rendre fous d’excitation, des dix recettes pour les faire rapidement jouir… La femme «·libérée·» doit apprendre à se comporter comme une prostituée. Ouvrez Internet. En un clic «·coquin·» - bel euphémisme - surgissent des milliers d’images montrant de jeunes filles aux yeux effarés, le visage dégoulinant de sperme, filmées dans des scènes violentes où elles sont «·punies·» à coup de sexes mâles. Le propos de la pornographie 2.0, ce n’est plus le sexe, mais l’avilissement des femmes. Branchez la télévision. Dans les spots publicitaires, les séries, les talk-shows, on reprend désormais des clichés que l’on croyait surannés, en se moquant de la ravissante idiote au cerveau minuscule et au corps offert.
Portons le regard au-delà des frontières. C’est bien pire. Aujourd’hui, au 21ème siècle, pas très loin de chez nous, on tue des femmes parce que leur sang ne coule pas lors de leur nuit de noce, parce qu’elles ont jeté un regard sur un autre homme, parce qu’une mèche de cheveux dépasse de leur voile, parce que leur mari en est lassé. Parfois, on les brûle vivantes, on leur jette de l’acide au visage, on les enterre à mi-corps pour leur lancer des pierres, on les viole à répétition jusqu’à ce qu’elle meurent ou se suicident pour mettre fin à leur calvaire, et on vend des fillettes certifiées «·vierges·» sur les marchés aux esclaves. On les tue pour «·l’honneur·» - l’honneur des mâles, bien sûr - en invoquant Dieu, la bouche pleine de mots pieux. On les tue parce qu’elles sont femmes.
Allons, ouvrons les yeux... Partout, nous sacrifions à un conformisme coupable qui encourage de nouveau la soumission des femmes. Lolitas incitées par la culture adolescente à se transformer en femmes-objets toujours disponibles… Jeunes filles piégées par l’industrie du sexe qui fait désormais commerce du spectacle de leur humiliation… Femmes effacées, voilées, violées, vendues, mutilées, pour mieux être utilisées en privé par leurs propriétaires… Ici au nom de la modernité, là au nom de la tradition, le mâle dominateur reprend partout du poil de la bête. Pornographes et puritains, que l’on croit opposés, avancent en réalité main dans la main et prennent les femmes en tenaille. Ils poursuivent le même dessein, la même obsession millénaire·: le contrôle du corps féminin. La contre-révolution sexuelle a commencé.
(…)
Non, au temps de la mondialisation, les inégalités entre les sexes ne sont pas abolies. Non, sur une bonne partie de la planète, la condition féminine ne s’améliore pas, bien au contraire. Non, le féminisme n’est pas dépassé. Non, en dépit des apparences, les jeunes filles ne sont pas si libérées dans leur sexualité qu’on le dit… En silence, dans la complaisance, serions-nous en train d’assister à la défaite des femmes·?
(…)
Que se passe-t-il donc ? Avons-nous renoncé à nos utopies amoureuses·? Devons-nous fermer les yeux face aux attaques répétées contre les femmes·? Rester muets devant les assauts des pornographes et des dévots·? Laisser nos enfants seuls, désemparés, avec, pour seule éducation à la sexualité, des images de violence et d’humiliation·?
(…)
Infortunées féministes·! Aujourd’hui, elles ont déserté la bataille du corps, raillées, ridiculisées. Elle ont contribué elles mêmes à leur propre marginalisation, se noyant dans des débats interminables – essence contre culture, sexe contre genre - et dans le déni. Pour tenter de gommer les inégalités entre les sexes, les unes ont préféré nier les différences et singer les mâles·: l’homme serait l’avenir de la femme. Les autres, au contraire, ont repris la hache de guerre·et entrepris de normaliser la sexualité en une surenchère de codes et d’interdits·: l’homme serait un loup pour la femme. Les deux stratégies, vouées à l’échec, ont ruiné leur crédibilité auprès des jeunes générations qui les rejettent désormais. Comme le dit justement l’écrivaine Benoite Groult, l’une des dernières grandes et belles voix féministes,·«·les hommes apprécient que nous soyons antiféministes, cela leur évite de jouer les machos·: c’est nous qui nous chargeons du sale boulot.·»
D’autant que les machos ont repris le haut du pavé et pavanent, revêtus des habits neufs des libérateurs. Car, nous disent les Zemmour et autres hérauts aigris qui prétendent parler au nom des hommes, les féministes, ces harpies, nous condamneraient à l’indifférenciation des sexes, elles comploteraient contre notre virilité, elles œuvreraient en secret à l’édification d’un monde androgyne où la sexualité serait encadrée, voire annihilée. Et d’en appeler au bon vieux temps, où chaque sexe était bien rangé à sa place.
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Je prétends démontrer que la pornographie et le puritanisme sont les deux faces d’une même haine des femmes et qu’ils poursuivent le même dessein. Que, pour parvenir à l’égalité entre les sexes, il faut précisément reconnaitre les différences entre les hommes et les femmes. Et que la pulsion sexuelle mammifère est le plus sublime des cadeaux, mais aussi le plus redoutable.
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Ce livre se veut un manifeste, un cri d’indignation contre les ignominies nouvelles et contre l’indifférence dont nous faisons preuve à leur égard. Il s’inscrit contre les réactionnaires de tous poils qui veulent restaurer l’ordre sexuel ancien, notamment contre les pervers qui prétendent le faire au nom de la modernité, et contre tous ceux qui voudraient nous imposer leur manuel de conduite au lit.
Je veux plaider ici pour la diversité vitale de la sexualité humaine et sa richesse irréductible à une mode ou une morale. Ce livre, vous l’avez sans doute remarqué, est écrit par un homme. Car la défaite des femmes, ce serait la aussi la nôtre, celle des hommes, celle de tous ceux qui chérissent la diversité des désirs et la liberté d’aimer.